dimanche 1 mars 2015

De la musique, Opéra ou Football : c'est la même chanson


Par Ambroise Sulies, 
du Montpellier Hérault Sociologie Club

Dans cet article, j'argumente que le football et l'opéra sont la même chose. Je prends l'opéra comme exemple extrême, mais le raisonnement s'applique à tout événement musical, voire théâtral. J'entends déjà les levées de bouclier chez les uns et les autres. Pourtant, après avoir étudié ces deux phénomènes attentivement, je peux certifier qu'ils sont identiques sociologiquement parlant, ce que je vais démontrer ci-dessous.
Commençons par une définition, celle d'un « spectacle » qui devra vérifier l'ensemble des hypothèses ci-dessous :

a) Une population se réunie régulièrement pour y assister. Il s'agit d'un point essentiel : il n'y a pas de spectacle sans spectateur selon cette définition.
b) La dite population (du moins dans sa majorité) paye un ticket d'entrée.
c) Cette population se caractérise par des tenues vestimentaire identitaires.
d) Cette population entre en communion pendant le spectacle.
e) Les individus discutent du spectacle qu'ils ont vu une fois celui-ci terminé.


Cette définition est très spécifique puisqu'elle inclue 5 points distincts et clairs, aisément vérifiable. Peu de travaux sur le sujet proposent une définition aussi peu sujette à interprétation. Vérifions à présent que ces 5 critères s'appliquent au football et à l'opéra.

a) Au football, les fans de telle ou telle équipe se retrouvent au stade tous les 15 jours en moyenne pendant une saison sportive normale. Les plus fidèles d'entre eux prennent des autocars pour aller voir leur équipe jouer dans d'autres stades. Certains amateurs, sans être attachés à une équipe en particulier, décident de temps en temps de se rendre au stade pour voir telle très bonne équipe, ou bien un joueur particulièrement doué du pied (ou de la tête). Les aficionados de l'opéra eux-aussi voudront régulièrement assister à une représentation dans leur ville, et seront prêts à se déplacer (aller à la capitale, peut-être) pour voir tel ténor particulièrement talentueux, telle diva à la capacité pulmonaire étonnamment développée.


b) Au stade comme à l'opéra, on paye un billet d'entrée. Les chantres de la culture condamnent parfois les « scandaleux »  salaires des joueurs de football, mais ils oublient volontiers qu'une place d'opéra coûte en général bien plus cher qu'une place dans un stade de ligue 1. Les cachets des stars les plus prestigieuses à l'opéra sont certes plus modestes que les stars du football (15 000 euros brut par soir, référence : http://www.lefigaro.fr/musique/2009/10/09/03006-20091009ARTFIG00359-l-argent-des-starsde-l-opera-.php). Par ailleurs, lors des récitals, les cachets peuvent s'élever jusqu’à 200 000 euros (même référence), sans parler des revenus provenant de la vente de disque (une activité à laquelle peu de footballeur se livrent, fort heureusement -voir cependant Olmeta et al., référence: http://www.topito.com/top-10-des-chanteurs-footballeurs). Mais cette disparité ne provient que de l'offre et la demande. Ainsi ce que l'on est en droit de trouver scandaleux n'est pas le salaire du footballeur, mais le fait que nous vivons dans une société gouvernée par la loi du marché (mais peu de commentateurs vont jusque là).
Certains des spectacles, dans un cas comme dans l'autre, proposent un concept d' « abonnés ». C'est l'occasion ici de revenir sur les propos de Dominique Bluzet, « le businessman des planches » (comme quoi, le football n'est pas seul à être associé à l'argent et au business) qui affirmait qu'il y avait plus d'abonnés dans ses théâtres qu'à l'Olympique de Marseille, en citant 18.000 abonnés (référence: http://www.leravi.org/spip.php?article441). Sauf que l'OM affiche plus de 30.000 abonnés (référence : http://www.sportune.fr/sport-business/psg-om-et-les-clubs-europeens-qui-comptent-le-plus-dabonnes-99514) et que les abonnements sont de nature différente : au football, c'est le droit d'entrée pour au moins 19 matchs, sans débourser un centime de plus. Au théâtre, l'abonnement n'inclue aucune place mais donne simplement droit à un tarif réduit qui devient intéressant dès que l'on s'y rend 4 fois par ans (référence : http://www.theatre-lacriee.com/#/pages/billetterie/tarifs-et-abonnements). En bon businessman, monsieur Bluzet a donc le sens de la formule qui est facilement retenue (l'idée qu'il y a plus d'abonnés au théâtre qu'au football est fréquemment entendue dans les milieux intellectuels marseillais -car il y en a) mais qui ne couvre aucune réalité. Les travaux de monsieur Bluzet n'ont donc aucune valeur scientifique, et nous font réaliser que finalement la culture n'est peut-être pas un milieu beaucoup plus honnête que le football, en tout cas quand en rencontre les acteurs financiers de l'un et de l'autre.


c) La tenue identitaire s'applique aux spectateurs d'un match de football comme aux auditeurs d'un opéra. Ils vous suffit de vous tenir à la sortie de l'un ou de l'autre pour le constater. Dans un cas, vous verrez maillots et écharpes aux couleurs de l'équipe. Dans l'autre, vous verrez des talons haut et des robes de soirées, des smokings, des cravates et des nœuds papillon. Dans les deux cas, ces tenues seraient hors de contexte dans la vie ordinaire. Le public revêt bien une tenue qui lui permet de s’identifier comme appartenant au même milieu, mais qui serait ridicule hors contexte.


d) Le public communie au travers de cris, applaudissements, chants. C'est particulièrement vrai au football (et peut être plus dans des stades anglais que français : je n'ai jamais entendu de reprise de « Hey Jude » au stade de la Mosson, mais c'est bien le cas à l'Emirates Stadium (référence : https://www.youtube.com/watch?v=nFwCu1lGSE8). A l'opéra, le champ se déroule plutôt sur la scène (bien que j'ai vu quelques passionnés murmurer les paroles en même temps que les artistes, et parfois à un volume suffisamment haut pour enquiquiner leurs voisins). Cependant, vous pourrez facilement vérifier que les performances vocales particulièrement remarquables sont saluées de salves d'applaudissements et de « Bravos » éructés sonorement, correspondant dans un stade au « HOOooooooo » collectif qui émane du public après une reprise de volée spectaculaire.


e) Écoutez les conversations à la sortie d'un stade ou d'un opéra, ce sont sémantiquement les mêmes. «Ils ont mieux joué que la semaine dernière » (l'orchestre ou l'équipe?), «Voilà qui me donne envie d'assister à la finale/la tasca  la semaine prochaine ». « Te souviens-tu quand nous avons vu Untel ?  »... Je ne poursuis pas tant il est trivial de réaliser que ce sont les mêmes conversations.


Ainsi donc, j'ai scientifiquement démontré qu'au moins selon la définition proposée ici, football et opéra sont rigoureusement identiques. On peut se poser la question du sens de cette similitude. Le grand sociologue canadien Raymond Berenger nous a proposé une réponse. Pour lui, tous les événements culturels ou sportifs proviennent du besoin instinctif de rassemblement qui étreint les hommes depuis la nuit des temps. Or le rassemblement d'un groupe, ou d'une caste, doit se faire autour de quelque chose. Le spectacle est le prétexte idoine à la formation d'un groupe (d'où les tenues identitaires). Les antagonismes que l'on entend entre les amateurs de football et d'opéra confirment cette théorie. En effet, les êtres humains se rassemblent aussi par antagonismes, malheureusement. Les uns se regroupent autour d'un spectacle (football ou opéra) mais tombent trop souvent dans la simplicité qui consiste à se regrouper par leur aversion commune d'un autre groupe, répondant pourtant à la même définition. Cette constatation résulte seulement d'une étude sérieuse du phénomène, mettant de coté toute partisanerie, comme cela a été fait dans cet article.


Les articles dans cette série:
- http://sulies.blogspot.fr/2015/01/de-la-musique-pre-face-b.html
- http://sulies.blogspot.fr/2015/02/les-musiciens-sont-snobs.html
- http://sulies.blogspot.fr/2015/03/de-la-musique-opera-ou-football-cest-la.html
- http://sulies.blogspot.fr/2015/04/de-la-musique-une-note-politique.html
- http://sulies.blogspot.fr/2015/05/de-la-musique-quand-les-musiciens.html



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